Un roman dur mais efficace sur le refoulement du passé nazi par la société allemande. On se situe à Francfort en 1963, au moment du second procès d’Auschwitz. Eva y participe en tant que traductrice de polonais et elle va prendre conscience des monstruosités qui y ont été commises.
L’auteure a réussi à mettre en parallèle l’histoire personnelle d’Eva et le rappel de l’horreur nazie : en effet, elle la découvre d’abord avec la précision des détails rapportés par les survivants ; puis progressivement, elle comprend que ce récit la touche de près, dans la mesure où elle a vécu dans le camp, petite fille à côté des bourreaux, avec son père cuisinier à Auschwitz : elle a oublié ou refoulé toute cette période.
Au delà d’Eva, ce sont tous les personnages qui sont touchés par ce qui a eu lieu pendant la seconde guerre mondiale : les survivants qui ne peuvent pas pardonner, les Juifs qui ont pu s’enfuir avant la mise en place du génocide et qui en gardent une culpabilité pesante, jusque chez leurs enfants et, bien sûr, ceux qui ont fait partie, à des degrés divers de la « banalité du mal » et, parmi eux, ceux qui n’ont rien fait pour dénoncer.
Une très fidèle reconstitution de cette société allemande des années 60, volontairement ou non amnésique.
Un très beau récit qui a pour cadre la Virginie, dans les années 1830 principalement, et qui met en scène la relation privilégiée qui se noue entre Lisbeth et Mattie. Ce bébé blanc est en effet confié à une esclave qui va l’entourer d’un amour peu présent dans la famille blanche. Mattie, qui a été séparée de son propre fils pour nourrir Lisbeth, aide pourtant la petite fille à grandir. Puis, malgré son déchirement, elle fuit la plantation pour retrouver son fils et son mari, esclaves fugitifs, à un moment où les rapports entre le Nord et le Sud des Etats-Unis commencent à se tendre. Pourtant, Lisbeth n’oublie jamais son ancienne nourrice et va progressivement prendre conscience des réalités de la société esclavagiste dans laquelle elle vit, et des violences qu’elle génère. Une histoire qui présente l’intérêt de se placer de plusieurs points de vue, qui n’oppose pas de façon manichéenne les Blancs et les esclaves, même si la fin, particulièrement réussie, montre que chacun ne peut que rester à sa place dans des conditions sociales figées.
Une épidémie mortelle ne touche que les hommes aux Etats-Unis. Les femmes sont alors amenées à les remplacer et s’installent au pouvoir dans tous les secteurs : politique avec une femme à la Maison Blanche, économique. Le docteur Martinelli est chargé avec une équipe de mettre au point un vaccin pour enrayer l’épidémie et, pour ce faire, ils sont isolés ; mais sont-ils vraiment « protégés ? »Ne sont-ils pas plutôt prisonniers ? Car leurs recherches ne doivent pas aboutir : les femmes ont en effet pris goût au pouvoir et li va être difficile de parvenir à les remplacer, de toute façon pas par des hommes mais par des féministes modérées. Un roman d’anticipation plutôt réussi, surtout pour l’époque à laquelle il a été écrit. Aujourd’hui, malgré tout, ce type de sujet a été abordé plusieurs fois, jusqu’à la remise en question de certaines positions anti-hommes radicales et, dans ces conditions, même si c’est un peu injuste, le livre paraît parfois daté. Intéressant cependant de voir décrites principalement les réactions d’un homme
Une histoire d’amour tragique à la fin du XIème s entre une jeune noble normande, vivant à Rouen et un juif qui est venu y étudier. Tous les deux fuient jusqu’à Narbonne, où habite la famille de David. Mais, pourchassés par des chevaliers normands, ils s’installent finalement dans un petit village du Sud, Monieux, où se trouve une communauté juive. Alors que leur vie se reconstruit, avec la naissance de trois enfants, le village sur la route des Croisés en route vers la Méditerranée, est soumis au pillage et à la mort : David est tué, deux enfants sont volés et celle qui a changé de nom et de religion part pour l’Orient dans l’espoir impossible d’y retrouver ses enfants. Mais elle sombre de plus en plus dans le désespoir et la folie. Un récit plutôt bien documenté sur la violence et les conflits de religion qui caractérisent la période. Les difficultés pour changer de religion sont également bien montrées, d’un point de vue interne comme d’un point de vue social. Petit bémol: l’intervention du narrateur, qui veut mettre en valeur ses sources et surtout voir les lieux où s’est déroulée l’histoire est moins réussie, cela l’alourdit alors qu’elle se suffit à elle-même.
Une petite fille abandonnée à 10 ans par sa famille, d’abord sa mère et ses frère et sœurs, puis par son père, alcoolique et violent : elle se retrouve seule au cœur d’un marais de Caroline du Nord et elle devient aux yeux du village proche l’Enfant des Marais, différente et donc rejetée. Grâce à l’aide d’un adolescent, elle apprend cependant à lire et à écrire, puis, plus tard, elle s’ouvre à l’amour, avec toujours la sombre certitude d’être vouée à la solitude.
Chronique douce amère de la vie de trois trentenaires à Londres : elle sont amies et, en même temps, elles se jalousent parfois, à la recherche de bonheurs qu’elles n’ont pas et que chacune semble trouver chez les deux autres. Hannah a réussi sa vie professionnelle, sa vie amoureuse, à première vue du moins, mais elle cherche désespérément à avoir un enfant ; Cate, trop rapidement mariée et mère, est déçue par la médiocrité du quotidien ; Lissa souhaite devenir une grande comédienne dans un milieu artistique sans pitié. Elles sont aussi toutes les trois façonnées par une enfance et une adolescence différentes. Face à ces situations, leur amitié est mise à l’épreuve. Un roman bien construit, même si ce n’est pas forcément d’une façon originale : l’auteure sait donner la parole à chacune des trois amies, elle sait bien utiliser les allers et retours dans le temps. Elle est aussi bien ancrée dans l’époque contemporaine, en accordant une place au féminisme de manière plutôt objective.
Le destin d’une fratrie de trois frères et une sœur, qui vivent dans une vallée isolée, le Gour Noir, au cœur de légendes. La vie et le travail s’organisent autour d’une centrale, possédée par un personnage énigmatique et tout-puissant, Joyce. Marc, l’aîné, aime les livres, même si son père l’a battu pour lui en faire passer le goût, Matthieu est en harmonie avec la nature, les arbres et la rivière, Luc est un enfant différent, qui n’a jamais pu aller à l’école. Quant à Mabel, la seule fille, elle est à la fois solaire et libre. Ils sont capables de faire front, soudés par un lien très fort, aux difficultés que la vie leur réserve et d’aller jusqu’au meurtre pour défendre la relation particulière qu’ils ont entre eux et avec la nature. Un récit parfois mystérieux et porté par une très belle écriture.
3 jeunes voleurs se cachent dans un bazar désaffecté, ils vont y vivre une aventure exceptionnelle, un peu fantastique. L’ancien propriétaire de cette boutique avait l’habitude de répondre à des lettres de personnes qui demandaient des conseils sur des évènements importants de leur vie. A partir de là, commence une série d’allers et retours fascinants dans le passé proche, les années 80, puisque les jeunes se prennent au jeu et fournissent eux aussi des réponses. Outre l’écriture très fluide et juste, les tranches de vie ainsi racontées permettent de bien appréhender certains traits de la société japonaise : le respect dû aux parents, la difficulté pour les filles de trouver une place, l’évaporation des personnes quand elles ne peuvent plus assumer leurs dettes, le rôle des foyers pour enfants ; sans oublier le contexte, d’un Japon en pleine ascension économique à l’éclatement de la bulle spéculative et aux problèmes actuels. Comme dans d’autres romans japonais, ceux d’A Shimazaki par exemple, l’imbrication entre les personnages est très réussie, particulièrement dans la chute du livre. Un régal de lecture, qui peut aussi séduire par d’autres aspects, ainsi le fait de remonter le temps.
L’histoire en elle-même n’a finalement que peu d’importance. Ce que l’on retient avant tout, c’est un hymne au Japon, à sa pudeur, à la poésie qui apparaît dans le moindre élément naturel.
Le roman met en scène 4 personnages, confrontés à la dureté de la vie : Ziad, le petit garçon qui voit son quotidien familial voler en éclat quand son père, Bertrand, s’éprend de la voisine, Muriel ; Bertrand, atteint dans ses sentiments mais aussi dans son corps par un anévrisme ; Muriel, qui se souvient de la façon dont, comédienne débutante, elle a été abusée par le cinéaste sans pouvoir réagir ; et Anne, la mère de Ziad, qui fuit jusqu’au crime les blessures de la vie. Ils sont tous les 4 du côté des Indiens, c’est-à-dire du côté des perdants, qui essaient malgré tout de survivre. Des personnages intéressants par eux-mêmes et par leur histoire, mais il est parfois un peu difficile de faire le lien entre eux, comme si plusieurs récits différents étaient racontés.
Le récit de la courte vie d’un jeune adolescent noir, Elwood, dans la Floride des années 60 en proie à la ségrégation. Elwood, brillant élève, s’intéresse de près aux mouvements civiques et à la personnalité de Martin Luther King. Mais, alors qu’il peut prétendre aller à l’université, le destin en décide autrement et il se trouve enfermé dans une sorte de maison de redressement appelée Nickel. Il va y subir les pires tourments, il découvre que des jeunes Noirs disparaissent sans laisser de traces et il est tué alors qu’il vient de dénoncer ces crimes, car il veut croire à la justice. Un très beau portrait, qui rappelle à quel point la condition noire a été (est) difficile car le roman s’inspire d’un fait-divers : l’institution décrite a bien existé. Les citations de M Luther King , bien choisies, permettent de se replacer dans le contexte de l’époque
Arthur est un bébé très laid, même aux yeux de ses parents, qui dans un premier temps le cachent presque. Il va subir cette laideur qui entraîne une mise à l’écart pendant toute son enfance, son adolescence et le début de sa vie d’adulte, avant de pouvoir recourir à la chirurgie esthétique. Une autodérision totale et en même temps légère quand Arthur décrit son parcours, même s’il va pouvoir compter très vite sur l’amour de ses parents ; notamment celui de son père qui devient un sculpteur à succès magnifiant la laideur, dans un hymne permanent à son fils. Une réussite de la part de l’auteure qui sait présenter Arthur avec une telle bienveillance et une telle empathie qu’on oublie tous les critères de la normalité. Cela n’empêche pas la souffrance d’apparaître de façon parfois sous-jacente, parfois clairement exprimée, particulièrement dans les relations amoureuses.
Christine, 25 ans, est embauchée comme secrétaire par Mina Appleton, qui dirige une chaîne familiale de supermarchés en Angleterre. Mais, en fait, elle est bien plus qu’une secrétaire : totalement dévouée à sa patronne, elle délaisse sa famille, au point que son mari la quitte et que sa fille part vivre avec lui. Elle ne comprend pas, ou elle ne veut pas comprendre, que Mina l’exploite et l’amène à la couvrir quand elle passe dans l’illégalité (en mentant sur ses relations avec les fournisseurs des produits agricoles, en plaçant de l’argent sale en Suisse). Jusqu’au procès inclus, elle soutient sa patronne avant de se rendre compte qu’elle a été bernée et de penser à sa vengeance. Fait parfois penser au film « Une étrange affaire », avec Michel Piccoli. L’auteure présente bien le personnage de Christine, en n’essayant pas de la rendre sympathique, notamment quand elle décrit la distance avec sa fille. Elle sait également amener une fin originale. Le titre anglais « La secrétaire » est plus adapté que « La confidente ».
Un roman à cinq voix pour mettre en scène l’évolution d’une famille catholique, de l’après Mai 68 à l’arrivée au pouvoir de F Mitterrand, entre une ville de province, Aix en Provence et Paris. D’abord, la voix des 3 filles : Sabine, l’aînée, qui va à Paris pour faire du théâtre et qui y subit plusieurs désillusions ; Hélène, écartelée dès sa jeunesse entre sa famille d’origine modeste et celle de son oncle à Neuilly, qui a parfois l’impression de trahir les siens ; et Mariette, la plus jeune, fragile à la fois dans son corps (asthme) et dans ses sentiments. Ensuite, celle des parents : le père, Bruno, aimant mais prisonnier d’une religion aux valeurs traditionnelles et la mère, Agnès, étouffée par ce carcan et cherchant à s’en libérer, en prenant progressivement conscience de la montée des mouvements féministes. Mais comment accéder à l’émancipation pour tous ces personnages, sans heurter les autres, sans les blesser ? Un tableau réussi de ces années, des personnages qui doutent, qui sont imparfaits. Peut-être à apprécier davantage si l’on a vécu la période et si les évènements évoqués entrent en résonance.
Le personnage principal, Harriet Westaway, qui est cartomancienne, est informé qu’elle va recevoir un héritage alors qu’elle est sans le sou et sans famille. Prête dans un premier temps à mentir pour l’obtenir, elle découvre peu à peu qu’elle appartient bien à cette famille pleine de secrets. Un policier de facture classique mais So british, entre Brighton et la Cornouailles.
Un livre qui pose de nombreuses questions : la place de l’écologie et surtout la défense des animaux, le poids des réseaux sociaux. L’auteur parvient à montrer des personnages ambivalents. Le titre est particulièrement bien choisi, de même que la couverture : la tête du lion est magnifique.
Ce qui donne sa force au récit, c’est qu’il se situe en 1938, le denier été complet avant la guerre et que chacun, à sa manière, en prend conscience, surtout l’enfant. L’auteur réussit ainsi à donner une grande profondeur à cette banalité qui va s’interrompre.
Un récit totalement loufoque, difficile à appréhender, encadré au début par le journal d’un jeune thésard, venu de Paris pour disséquer, comme un anthropologue contemporain, un village fictif près de Niort et surtout ses habitants, avec le vocabulaire pompeux de celui qui sait : les ruraux, les rurbains, les problématiques à construire. Parmi les habitants scrutés par le doctorant, le maire du village qui est fossoyeur. Le roman bascule alors dans une ronde sans fin de ces personnages, qui sont balancés dans la Roue et connaissent des réincarnations successives, toutes plus jubilatoires les unes que les autres : ainsi, un prêtre qui devient sanglier. Il passe ensuite au banquet annuel des fossoyeurs qui, dans un pastiche de Rabelais, rassemble les fossoyeurs de tout le pays autour d’un repas forcément pantagruélique et de discussions sur la mort et ses prolongements. Enfin, le récit s’achève par le retour au journal de celui qui n’est plus doctorant, ni parisien, mais qui a acquis la sagesse nécessaire pour se recycler en apprenti agriculteur bio. Des passages très savoureux, comme l’idée d’un enterrement « bio », mais aussi parfois un sentiment de vertige, sans doute voulu, devant cette Roue qui ne s’arrête pas et cette multitude de personnages.
Il y a un mystère dans la vie bien rangée de Mr Shimura-san . Que se passe-t-il en son absence, la journée, dans sa maison si calme si ordonnée. Agnès Hostache à partir du subtil roman d'Eric Faye crée un roman graphique tout en émotions précises , aiguës . La solitude de nos vies modernes. L'enfer quotidien de ceux qui nous entourent et que l'on ne voit pas, tout est évoqué ici. La lumière d'une nuque, l'ordonnance domestique du quotidien. On croirait par exemple sentir l'odeur végétale et rassurante des tatamis. Cette histoire ( vraie) nous touche, nous bouleverse. Ainsi on ressent le cocon protecteur que peut être une maison et le côté sec, tranchant, de la solitude des deux protagonistes. Les dessins sont d'une grande sobriété. La matité des couleurs, la mise en scène des objets, tout est parfait.
Roman historique ayant pour cadre la cour de Louis XV à Versailles. Le personnage principal, Hubert-Louis de La Ferrière, s’occupe des chasses du roi mais il va être mêlé à une affaire de diplomatie secrète mettant en scène les grandes puissances de l’époque : Autriche, Prusse, Angleterre.
Un récit qui se lit à 2 niveaux : celui de l’enquête policière elle-même, qui présente, de façon bien documentée, la mort de « mules », ces jeunes Guyanais qui utilisent leur corps pour faire passer de la drogue en Europe, souvent au péril de leur vie et les difficultés de la gendarmerie pour lutter contre ce trafic, aux mains de véritables cartels qui se moquent totalement du sort réservé aux mules. Mais aussi et surtout, celui de l’histoire contemporaine de la Guyane, qui prend ses racines dans un passé plus ancien, opposant les Noirs Marrons aux Créoles, opposant également le département français au Surinam voisin et qui rappelle l’effroyable guerre civile subie par ce pays dans les années 1980, après son indépendance et les conséquences de ce conflit. Enfin, les inégalités socio-économiques sont bien montrées (de façon beaucoup plus efficace que dans le livre de C Taubira).
L’histoire de Barry Cohen, qui dirige à New York un fonds spéculatif sur le point de connaître la faillite et qui décide de quitter sa femme, Seema et son fils de 3 ans, atteint d’un autisme sévère. Il part retrouver son amour de jeunesse, Leyla, mais c’est en fait un prétexte pour parcourir une partie de l’Amérique en car Greyhound, il est donc immergé au milieu des pauvres. Une plongée déjantée dans l’Amérique profonde, ce qui n’empêche pas l’auteur de camper avec réalisme des portraits d’Américains suprématistes, de Noirs et de Latinos exclus en permanence dans un pays d’abord en pleine campagne électorale de 2016, puis projeté dans la victoire de Trump. Une écriture à la mesure d’un Etat-continent, un livre à la fois drôle et déprimant.
L’auteure féministe raconte l’histoire tragique d’Italia Donati. Celle-ci, issue d’un milieu paysan très pauvre, réussit malgré tout à devenir institutrice dans l’Italie en construction des années 1880, qui vient de rendre la scolarisation obligatoire. Mais sa nomination dépend du maire, qui multiplie les aventures amoureuses et qui, en l’obligeant à se loger chez lui, la perd de réputation aux yeux des villageois. Ils se vengent ainsi de celle qui s’est élevée au dessus de sa condition, qui a le tort d’être une femme, jeune et belle, et qui leur enlève les enfants, source de travail aux champs. Rumeurs puis calomnies de plus fortes et grossières détruisent Italia, qui finit par se suicider. Tout est intéressant dans ce récit, que ce soit bien sûr la fragilité des femmes, leur impossibilité à faire front commun contre les hommes (parmi les plus acharnés contre Italia, on trouve des femmes), mais aussi la grande pauvreté du monde paysan, alors qu’on se situe en Toscane, donc en Italie du Nord, pauvreté à la fois matérielle et culturelle, qui ne permet même pas à sa famille de la défendre. Un ton très juste, qui met bien en valeur l’empathie de l’auteure, mais sans pathos.
Ce roman court et facile à lire nous fait entendre trois voix, celle de trois épouses découvrant la polygamie dans le nord du Cameroun : deux jeunes filles entrant dans un foyer où les attendent une ou plusieurs autres épouses ; une première épouse forcée d’accueillir la nouvelle épouse choisie par son mari. L’auteure connaît ces réalités, pour les avoir elle-même vécues : elle choisit de donner une voix à ces femmes qu’on fait taire, et qui se taisent, soumises à une tradition patriarcale modelant les rapports humains selon le principe de la primauté donnée au groupe sur l’individu, et aux hommes sur les femmes. Ces trois femmes aspirent au bonheur : mais l’égoïsme masculin, associé à la lâcheté et au déni des hommes, les enferme dans une impasse. Maigre consolation offerte par la tradition : un éloge systématique de la patience, dont l’auteur dénonce l’hypocrisie, en révélant ses conséquences dévastatrices. Ce roman, est un vrai choc, non par son style, tout en retenue et en pudeur, mais par les attitudes et les propos décrits. Ce récit plein d’empathie pour les femmes du Nord-Cameroun est un plaidoyer pour l’éducation, clé de l’émancipation féminine, fût-ce au prix d’une rébellion condamnant à la solitude. C’est aussi un cri d’admiration envers ces femmes qui endurent un quotidien sans perspective, à force de courage et de résignation. L’auteure leur rend justice, expliquant la dureté et les mesquineries par un conditionnement collectif et une préoccupation constante de sécurité. Djaïli Amadou Amal signe une critique sans appel de l’immobilisme, de la soumission et de l’enfermement des femmes au nom de la tradition. Son livre dessine trois belles figures de femmes face à leur destin. Les lycéens lui on décerné leur prix Goncourt : ils ne se sont pas trompés.