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Corlevour
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On ne résume guère cette pièce, qui est d'une extrême complication, digne des pastorales baroques et maniéristes. Une cour entière est réfugiée en forêt autour de son roi exilé, Frédéric.
C'est alors la peinture des intrigues amoureuses avec masques et changements de sexe, mélancoliques et passionnés, sages et bouffons, jusqu'au rétablissement final de chacun dans ses droits.
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De Ron Rash, le public français ne connaissait jusqu'à présent que les romans noirs, publiés notamment par les éditions du Seuil, et, depuis quelques années, par Gallimard. Or, c'est à sa poésie que Ron Rash est peut-être le plus attaché, ainsi qu'il nous l'a confié lors d'une rencontre à Bruxelles en octobre 2022. Ce manque est désormais comblé avec la traduction de Poems, volume qui réunit l'essentiel de ses divers recueils : Eureka Mill paru en 1998, Among the Believers (2000), Raising the Dead (2002) et Waking (2011).
Nous avons choisi d'intituler cet ensemble Réveiller les morts, car c'est de cela qu'il s'agit au fil de ces 125 poèmes : redonner vie aux disparus. Vous allez remonter un siècle d'histoire américaine sur cette terre du Sud des Appalaches aux confins des deux Caroline, où Ron Rash a grandi. Il a vingt ans en 1973 lorsque la vallée de Jocassee, ancienne terre indienne Cherokee située dans le Nord-Ouest de la Caroline du Sud, est ensevelie sous un lac de barrage. Les vivants qui en sont chassés ouvrent les tombes pour réveiller les morts, les emmener avec eux avant que l'eau n'arrive. Jocassee signifie « lieu de l'être perdu » et c'est bien à une quête de ceux qui ne sont plus que Ron Rash nous invite. Leur mémoire habite les espaces, de l'âpreté des champs à la misère de l'usine. -
En 1935, l'année de création d'Ivan Vassilievitch, Staline étendait la peine capitale aux enfants de douze ans après avoir interdit tout recours contre les sentences de mort prononcées par les juridictions spéciales du NKVD - la police d'État. C'est avec ce repère historique en tête qu'il faut lire Ivan Vassilievitch. Alors on goûte mieux l'insolence formidable et l'humour dévastateur de cette pièce en trois actes, pleine de rebondissements, de quiproquo et de coups de théâtre. Hélas, catalogué de petit-bourgeois réactionnaire, Boulgakov ne verra jamais monter son oeuvre théâtrale, ni publier ses romans. La censure savait ce qu'elle faisait : nul doute que cette pièce aurait connu l'énorme succès que ses répétitions présageaient. Dans un décor familier à tous les soviétiques - un appartement communautaire - Timoféïev, un savant fou a mis au point une machine à faire tomber les cloisons du temps et de l'espace. Son déclenchement met en scène Ivan le Terrible en même temps que le terrible Ivan, syndic de l'immeuble qui, s'il porte le même nom que le tsar, lui ressemble aussi comme un jumeau. Sur le principe des poupées russes, ce vaudeville truculent et sarcastique cache une satire du pouvoir, qui dévoile à son tour celle de la société moscovite, puis de l'intelligentsia de l'époque.
Le génie satirique de Boulgakov est tel, que la machine de Timofeïev se met en marche pour chaque lecteur, quels que soient le monde, l'époque, et la société qu'il habite. Il ne peut plus alors que pleurer...
De rire.
Christiane Rancé
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Peu importe le nombre d'agrandissements,cette photographie prise par un soldat allemandde ma grand-mère à Lida en 1916reste parfaitement claire. Ses yeuxjaugent froidementle soldat qui pouvait déciderde pointer sur elle son arme plutôt queson objectif si ça l'avaitplus amuséque de la photographier.Ainsi vala guerre - je sens sa peurmême si je la voismaintenant avec les yeuxde l'oppresseur.Et je connais leur honte à tous les deux.
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Tant qu'on n'a pas lu Achterberg, on ne peut se figurer qu'il est possible d'écrire de la poésie explicitement mystique de manière aussi concrète, dans un style le plus souvent « sec » et en recourant à des éléments aussi banals. Nombre de ses poèmes produisent sur nous une sensation comparable à celle des peintures d'Edward Hopper : à première vue, il ne se passe rien, mais il suffit de s'arrêter deux secondes sur ce qu'on a sous les yeux pour être transporté dans un espace singulier, hermétiquement isolé du « monde ordinaire ». Ce sentiment d'« espace clos », tel était pour moi le coeur de l'oeuvre d'Achterberg.
Quel que fût le chaos ou le boucan qui régnait autour de moi, dès que j'ouvrais l'un de ses recueils et me mettais à le lire, plus rien ne subsistait si ce n'est un silence chuintant dans mes oreilles, un paysage silencieux dans lequel un homme, pareil à un grain de sable, se niche dans le corps de sa bien-aimée - une bien-aimée qui, à y regarder de plus près, est en réalité une poupée, une marionnette, mais qui, l'instant d'après, une fois la page tournée, tel un mannequin dans une vitrine, revit, tout aussi morte et tout aussi chaude, emplie du souffle de l'homme qui, dans son obsession, ne voit partout qu'une seule silhouette, qu'une seule forme - celle de cette femme. Voilà pourquoi le poète ne me paraissait pas tant l'Orphée que beaucoup voient en lui, qu'un démiurge ou un rabbi Loew hollandais. Dès lors, chaque objet est sujet à caution, pourrait avoir partie liée avec le complot entre le « je » et le « vous », adopter inopinément une énième et nouvelle forme ou constituer l'abri le moins engageant où la femme en question se trouve.
Les vers du Hollandais m'amenaient à poser sur les choses les plus ordinaires un regard empreint d'une suspicion pleine de passion. C'est qu'ils réalisaient ce qui apparaît dorénavant comme un rien naïf, mais qui ne constitue pas moins une grande force propre à maintes poésies : ils ne cessaient de personnifier les choses. Tout était symbole, tout avait une fonction, la neige fracturait les yeux, l'armoire respirait, la chambre attendait un miracle - bref : Achterberg était « lié de près aux éléments / qui en moi se fondent en vous ». Régi par ces lois, le monde en question s'était fermé au monde extérieur qui nous est familier.
En conséquence, je ne concevais pas même deux façons de lire Achterberg : ne pas lâcher son oeuvre, la vivre intensément toujours plus à l'écart des autres, de l'intérieur même de l'aquarium étanche aux bruits qu'elle constitue, ou bien ignorer totalement cet univers. Là réside d'ailleurs la raison pour laquelle ses critiques sont des lecteurs particulièrement maniaques : Gerrit Achterberg n'est pas un poète qu'on lit le cas échéant ; quiconque s'y risque n'en ressort qu'avec une impression de maladresse et d'émotionnalité énigmatique. Le jour où j'ai arrêté de le lire, j'ai éprouvé un même sentiment d'isolement que lorsque je le lisais : je venais de tirer sur moi la porte d'une chambre que j'allais laisser en état. [...] ».
Stephan Hertmans Extrait de la préface.
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Sa poésie, qui fait le grand écart entre la puissance laconique des épigrammes et le souffle au long cours d'épopées en vers, se caractérise par la richesse colorée, sonore et métaphorique de son verbe, dans un mélange habile d'humour, d'allégresse et d'interrogations métaphysiques. Pour Brodsky, Les Murray était celui en qui « la langue anglaise respire ». Géant des lettres australiennes, il s'était opposé au modernisme littéraire de la « Nouvelle poésie » australienne, auquel il reprochait de se couper d'un lectorat plus populaire, pour devenir « le domaine d'une clique intellectuelle ». Lui-même était décrit par un critique comme « un poète traditionnel dont l'oeuvre est d'une originalité radicale ». Son style est immédiatement reconnaissable à sa dextérité linguistique et à sa maîtrise de la scansion poétique. Il célèbre une Australie rurale, enracinée, idéalisée, celle d'une « république vernaculaire » dont il décrit la flore, la faune et les paysages avec une inventivité toute baroque. Sa langue contribue à installer une réalité, où l'onirisme le partage aux préoccupations sociales et aux questionnements téléologiques. Riche, généreuse, volubile, somptueusement déroutante, la poésie de Les Murray est à l'image de son pays : un continent.
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Le vent qui apaise. Le vent qui est entré dans la vie a ouvert toutes les portes afin que l'âme puisse aller sans hésitation ni retard. Il a traversé devant moi avec son souffle de feu, et a fait surgir de rien le vertige qui entraîne au fond, et pousse de nouveau vers le bleu. J'ai fermé toutes les portes pour qu'il n'entre pas mais le vent a ressurgi de moi, et sa fureur m'a libéré de mon propre sol ; il a blessé le vide avec ses ongles avides d'un désir de terre inassouvi.
Et j'ai serré dans mes bras ton abandon, ton corps ouvert dans la floraison d'une offrande. J'ai senti ton sexe dans la germination des images, et j'ai laissé tes mains chercher le moût du vent, et le pousser vers tes lèvres. Je l'ai vu se détacher de leur bord, comme des bourgeons d'un vieux fruit, et le jus courir sur tes seins et ouvrir le cours des sens. Une lumière encore est restée pour dévoiler un tourbillon de présages, me rassurer à l'ombre des arbres, et le chant lointain d'une fontaine nous a suivi avec insistance de son rythme sur fond de feuillage.
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Le sentiment fugace de l'éternel ; géographie du chaos
Nuno Júdice
- Corlevour
- 18 Juin 2015
- 9782372090094
Poèmes inspirés par la tradition du sonnet et ses modèles de Pétrarque à Pessoa. L'écrivain reprend des thèmes classiques comme la mélancolie et l'amour, l'ombre et la lumière, l'instant et le poème.
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Le mythe est une notion bien présente dans l'oeuvre de Nuno Júdice. Il a jadis travaillé sur les mythes fondateurs de l'identité portugaise, et d'une manière plus générale, il nourrit beaucoup sa poésie de la mythologie gréco-latine.
Le livre Le Mythe d'Europe nous invite à la croisée des chemins, dans cet espace-temps où la mythologie côtoie le quotidien. Cet ouvrage commence par des poèmes où se mélangent le quotidien et le rêve, le fantastique et l'amour - « L'amour est une sombre vocation » - dans un lyrisme coutumier au poète. Ensuite, la longue partie au titre éponyme rappelle ce que Judice a pu écrire jadis, en 2000, dans La Revue des Deux Mondes : « Il est parfois difficile de séparer dans le texte littéraire, la réalité de cette charge mythique qui accompagne les événements historiques et les bouleverse, ou leur attribue une charge surnaturelle ».
Ainsi, dans Le Mythe d'Europe, on peut penser que la figure de l'aimée côtoie les figures féminines de la mythologie gréco-latine, et notamment celle, énigmatique et polymorphe, d'Europe. Mais on peut surtout penser que le poème se ressource à ces origines énigmatiques afin de questionner l'indigence culturelle de l'imaginaire de l'Europe contemporaine.
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Quand, le 10 mars 1953, Tôge Sankichi - qui avait été irradié lors de l'explosion atomique du 6 août 1945 à Hiroshima - mourut (âgé de 36 ans) à l'hôpital, un ami posa près de sa tête un exemplaire des Poèmes de la bombe atomique. Ces poèmes, que Tôge avait écrits fiévreusement de 1949 à 1951 (et qui furent publiés pour la première fois en 1951), condensaient l'essentiel de son témoignage : constat, protestation, appel - toujours par la force d'une poésie neuve et libre. Ce sont, dit Ôé Kenzaburô (prix Nobel, auteur de Notes de Hiroshima), "les poèmes les plus admirables" qui aient été écrits "sur les drames causés par le bombardement atomique et la dignité de l'homme qui ne capitule pas devant eux."
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Jeanne Tsatsos, poète et historien d'Athénaïs de Byzance, est la soeur de Georges Séféris auquel elle a consacré une émouvante biographie. Son mari, Constantin Tsatsos, est un philosophe dont la pensée a marqué la culture et la vie politique de la Grèce moderne. Elle-même n'est pas indigne de ces deux témoins majeurs de sa vie. On perçoit, en lisant son Journal de l'occupation entre 1941 et 1944, sur quelle profondeur de l'expérience humaine sa force de caractère et celle de son peuple sont fondées. Le sens inné de la compassion universelle qui se manifeste à chaque page de ce livre vient autant de la communion des saints, si forte dans la tradition orthodoxe, que d'un sens antique du destin, toujours subsistant dans l'âme grecque. Tout empli qu'il est de la douleur et du courage quotidiens, ce Journal est un dialogue inconscient entre les deux composantes d'un même esprit : dialogue que je me plais à retrouver, peut-être même à amplifier, dans les poèmes du Cycle de l'horloge que le lecteur va lire.
Pierre EMMANUEL
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Dans une langue claire et précise, qui recourt à l'humour, ce recueil rencontre la sensibilité d'une certaine Italie d'aujourd'hui: celle qui est partagée entre une manière de vivre traditionnelle, héritée des Romains, et qui se traduit par l'amour de la terre, de l'olivier, d'une certaine douceur de vivre, et la frénésie du monde moderne conduisant à des comportements psychotiques ou des visions hallucinantes.
Prenant le Temps comme fil conducteur, ce recueil parle du monde actuel et exprime avec prfondeur et originalité ce que chacun ressent confusément. Par des poèmes de qualité qui s'adressent à tous, Marcoaldi réconcilie un grand nombre de ses contemporains avec la poésie.
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Les douze poètes réunis dans ce recueil sont nés entre 1898 et 1924. Tous ont écrit dans un contexte historique tragique, celui de l'extermination des juifs d'Europe, qu'ils ont vécue à Czernovitz, austro-hongroise jusqu'à la première guerre mondiale, puis tour à tour roumaine, soviétique, allemande. Sans former une école, ils ont constitué dans l'histoire littéraire européenne un ensemble unique que l'introduction et la traduction de François Mathieu permettent de découvrir. Rose Auslünder, Klara Blum, Paul Celan, David Goldfeld, Alfred Gong, Alfred Kittner, Alfred Margul-Sperber, Selma Meerbaum-Eisinger, Moses Rosenkranz, Ilana Shmueli, Immanuel Weissglas, Manfred Winkler.
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La poésie est son propre meilleur ennemi, soutient James Rodenbach. Analysant un large éventail de poètes, qui va de Callimaque à Louise Glück, il montre comment la résistance à la poésie est ce que la poésie a de plus étonnant. Les poèmes transmettent bien une connaissance, avance-t-il, mais ils le font sous des formes qui travaillent sans cesse à ne pas devenir les médiums dociles de cette transmission. Cette résistance est en réalité la source du plaisir du lecteur : nous ne lisons pas de la poésie pour échapper à la difficulté, mais pour la prendre à bras le corps. Longenbach, armé de l'acuité de l'écrivain et du critique, plaide sa cause avec un engagement profond dans le langage poétique. Chaque chapitre apporte une perspective inédite sur un aspect décisif de la poésie (ligne ou vers, syntaxe, langage figuré, voix, disjonction), et montre bien que le pouvoir du langage dépend moins de la signification que de la façon dont il signifie - c'est-à-dire du processus temporel que nous gérons au cours de l'acte de lire ou d'écrire un poème. Un essai agile et raffiné, qui arrive à un moment crucial - à l'heure où bien des gens essaient de formater et de marchandiser la poésie en faisant d'elle autre chose que ce qu'elle est.
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En 1781, Hölderlin a seize ans, il se remémore des jeux d'enfant sur les bords du Neckar.
Il joue, brusquement il lève les yeux et aperçoit le fleuve : " Un sentiment sacré frémit dans tout mon coeur [...] je murmurai : il faut prier ! " Tout au long de sa vie, Hölderlin aura longé, traversé et contemplé les grands fleuves : le Rhin d'abord, puis le Main, la Garonne et le Neckar enfin, transporté par leur beauté et leur noblesse. Ils lui ont inspiré parmi ses plus beaux vers, quelques-unes des plus grandes oeuvres de la maturité leur sont consacrées, et on ne petit qu'être frappé de voir combien la figure du fleuve - fleuve réel et fleuve rêvé - irrigue l'ensemble de la poésie Hölderlinienne.
Véritable source d'énergie créatrice, elle en croise tous les grands thèmes, tour à tour emprunte de douceur et de violence, d'ordre et de chaos, d'amour de l'Allemagne et de nostalgie de la Grèce, de profonde humanité et de majesté divine. Nicolas Waquet a choisi de rassembler les poèmes fluviaux du grand poète allemand en un même recueil, et il en propose une nouvelle traduction soucieuse de faire entendre le chant Hölderlinien.