La Grande Librairie: Pourquoi et comment se souvenir ?
13 février 2023
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Sur les plages de Hyères, en 1945, l'été a un goût doux-amer. La guerre est finie, certes, mais les plaies sont encore béantes et les sols regorgent de pièges : les mines dorment sous les pieds, souvenir mortel laissé par les Allemands...
Vincent revient des prisons allemandes pétri de crainte ; cela fait des années qu'il n'a plus de nouvelle d'Ariane, la femme qu'il aime. Pétri d'espoir, aussi : ces retrouvailles ne pourraient-elles renouer leur relation là où la guerre l'a laissée ? Mais Vincent doit vite se rendre à l'évidence : Ariane a disparu, et n'a laissé aucune trace derrière elle. Sa
seule piste est celle du château d'Eyguières, où la jeune femme était employée par les nazis. Ces derniers, prisonniers de guerre, sont utilisés comme chair à canon au service de déminage de la ville. Pour les approcher et obtenir les précieuses informations, Vincent est prêt à tout, même à s'engager comme démineur. Sur son chemin, il
rencontrera Saskia, jeune juive aux yeux plein de fantômes, Fabien, autre démineur prompt à enfouir les douloureux souvenirs dans le sable de la plage où dorment les torpilles, ou encore Lukas, étrange et délicat Allemand qui aurait, assure-t-il, croisé Ariane...
Vincent doit agir vite, car la langueur estivale assourdit le tic-tac des mines, qui promet pourtant de tout souffler sur son passage.
Dans un premier roman puissant, Claire Deya brosse le portrait tout en fragilités et meurtrissures de la France de l'immédiat après-guerre. Une fresque romanesque puissante, où les récits croisés nous content un autre versant de la reconstruction, douloureux mais plein d'espérance.
Claire Deya est une scénariste et autrice française. Un monde à refaire est son premier roman. -
Le 21 février 2024 Missak Manouchian entre au Panthéon, avec son épouse, Mélinée. L'histoire des Arméniens mérite d'être connue et reconnue. Missak, le militant, le résistant est une figure digne d'être honorée. Mais je suis saisie par un double sentiment, celui d'une injustice à l'égard des 21 autres résistants étrangers fusillés en même temps que lui par les nazis et d'Olga Bancic guillotinée ; celui d'un malaise devant un récit historique qui distord les faits pour construire une légende. Or, à l'époque des « vérités alternatives », si on souhaite donne une leçon d'histoire, la moindre des précautions est de l'établir.
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Il n'y aura bientôt plus personne
Marie Vaislic, Marion Cocquet
- Grasset
- Document Grasset
- 17 Janvier 2024
- 9782246836483
Marie Rafalovitch a 14 ans lorsque, le 25 juillet 1944, elle est arrêtée à Toulouse, trois semaines avant la libération de la ville. Elle ne connaît presque rien des origines de sa famille : c'est sa déportation qui lui apprend qu'elle est juive, et que ce mot la condamne.
Elle a été arrêtée sans ses parents ni son frère : elle est la seule adolescente livrée à elle-même dans un convoi de mères et d'enfants déporté vers Ravensbrück, puis Bergen-Belsen. Au camp, Marie découvre les humiliations, l'épuisement, les expériences menées sur le corps des déportées, la mise à mort pour un regard ou pour un geste. Elle apprend l'âpreté des relations qui se nouent entre les êtres lorsqu'ils sont réduits à rien. Elle tient, en dépit de tout. Jamais elle ne pense à la vie qu'elle a laissée, jamais non plus elle ne croit à sa propre mort.
A son retour, comme bien d'autres, Marie se tait. Personne ne songe à écouter les rescapés juifs. Surtout elle a survécu, quand la Shoah a emporté la quasi-totalité des familles polonaises de ses deux parents : de quoi devrait-elle se plaindre ? Des années plus tard, on invite Marie à témoigner. Elle prend la parole. Va dans les écoles à la rencontre des élèves. Elle sait désormais qu'il est impossible de dire, et impossible de se taire.
Aujourd'hui, accompagnée par Marion Cocquet, Marie livre ces pages sobres et inoubliables, dans l'espoir que la Shoah ne devienne pas, ou pas trop vite, une page d'histoire parmi d'autres - aussi lointaine, dit-elle, que la guerre de Cent ans... -
Le lendemain de la rafle du Vel d'Hiv., le 17 juillet 1942, alors qu'il allait rentrer dans l'épicerie familiale, Robert Birenbaum, jeune Français juif de bientôt 16 ans (ses parents sont Français comme lui, bien que nés en Pologne) rencontre sa tante Dora, avenue Secrétan. C'est lui qui raconte : « Elle était jeune, trente-deux ou trente-trois ans, et très belle ; c'était ma tante préférée. Elle me raconta pourquoi mon oncle avait été arrêté et mis en prison. Il était résistant. Sur sa lancée, elle me demanda si elle pouvait avoir confiance en moi. Si je le voulais, elle pouvait me faire entrer en contact avec des jeunes juifs communistes, des résistants. Mais ce devrait être un secret entre nous deux. Jamais je ne devais dire à mes parents qu'elle avait été mon instigatrice. J'acceptais sans hésiter. Elle me fit comprendre en très peu de phrases qu'il était toujours préférable de se battre, de vivre debout et dans la dignité, et de ne pas se coucher devant l'ennemi. Elle avait comme son mari un poste de responsable au sein du MOI (Mouvement Ouvrier Immigré) et me donna tout de suite un rendez-vous avec un camarade de la Jeunesse communiste. C'est ainsi que j'entrai dans la Résistance, le 17 juillet 1942. » Le 18 juin 2023, le même Robert Birenbaum reçoit - enfin - des mains du Président Emmanuel Macron, la Légion d'honneur au Mont Valérien, après s'être recueilli dans la clairière où reposent nombre de ses camarades de résistance. 81 ans après avoir pris sans s'en rendre compte la décision la plus importante de sa vie... Le 21 février 2024, le couple Manouchian sera rapatrié au Panthéon. Les Manouchian, c'est l'Affiche rouge du nom de l'affiche placardée dans tout le pays par les nazis qui recherchaient ces résistants. Arrêtés, les 22 hommes membres de l'Affiche Rouge, ces Francs-Tireurs Partisans de la MOI, seront fusillés le 21 février 1944 au Mont-Valérien. Olga Bancic, seule femme du groupe, sera décapitée le 10 mai 1944 à Stuttgart. Robert Birenbaum, malgré son très jeune âge, fit partie de 1942 à 1944 (sous le pseudo de « Guy ») de ceux qui recrutaient justement ces résistants FTP MOI. Triste ironie de l'Histoire, il devait intégrer ces FTP lorsque les membres de l'Affiche rouge furent pris. Son livre raconte à la première personne ses deux années incroyables au cours desquelles, avec d'autres jeunes gens, français et étrangers, juifs, communistes, parfois de simples adolescents comme lui, ils tinrent en respect collabos et nazis dans Paris et ses alentours. Lancers de tracts, vols d'armes, de machines à écrire, planques, attentats, sabotages et arrestations... Un récit palpitant qu'il délivre enfin à 97 ans.Raconter. Encore et encore.Pour que personne n'oublie jamais...
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S'engager en historienne
Michelle Perrot
- Cnrs
- Les Grandes Voix De La Recherche
- 18 Janvier 2024
- 9782271149404
Michelle Perrot nous invite à une véritable traversée féminine du XXe siècle.
Si Michelle Perrot est avant tout connue pour ses travaux sur l'histoire des femmes, ses thèmes de prédilection et de recherche dépassent pourtant largement ce champ. Initiée d'abord à l'histoire du mouvement ouvrier et à l'étude des grèves au XIXe siècle par son maître Ernest Labrousse, elle s'est aussi intéressée aux prisons, à l'histoire de l'intimité et à celle de la vie privée. C'est-à-dire à la périphérie des zones de pouvoir, avec un regard enraciné dans le présent.
Revenant sur son parcours intellectuel au sein duquel s'entremêlent enseignements, projets éditoriaux, séminaires, mobilisations et combats, elle rend compte de sa trajectoire singulière et nous invite à une véritable traversée féminine du XXe siècle.