Coups de coeur
-
Rester humain est un combat contre la bête tapie en soi
Aux Montées, un hameau campé dans un espace temps et géographique indéterminé, les habitants survivent comme ils peuvent.
Il y a le château, ses maitres, une terre ingrate, des saisons qui se détraquent, un trio féminin, qui donne le ton à ce roman puissant, âpre, violent.
Un livre à la géographie gracquienne, charnu, charnel, où l’autrice fait monter la pression chaque page un peu davantage, comme un polar. Une histoire de paysannerie sous l’ancien régime, dans laquelle la nature explose, une histoire de femmes derrière lesquelles gravitent les hommes. une ode à la fraternité aussi, à la liberté.
Un livre envoûtant!
-
Un plaidoyer subtil pour la liberté des femmes en Iran.
Un court roman, fougueux, un témoignage presque, économe en mots mais pas en densité dramatique inversement proportionnelle à son nombre de pages (140). D’origine iranienne, Delphine Minoui, grand reporter au Figaro, spécialiste du Proche et Moyen-Orient, prix Albert-Londres, donne la parole à une jeune iranienne, Badjens.
L’autrice prête sa voie, ses mots, à celles qui sont bâillonnées par la religion, la société, le patriarcat, la terreur des mollahs. Baillonnées par la chape de plomb qui règnent en Iran et qui pourtant ont décidé de s’affranchir du carcan au péril de leur vie, portant en elles le symbole de Mahsa Amini, assassinée pour un voile mal porté.
Un roman incarné, au style alerte, qui se lit d’une traite, aux côtés de Badjens, petite fille puis femme émancipée.
-
Un roman passionnant et complet sur l'une des guerres les plus complexes de la fin du 20eme siècle.
Une épopée sur le Liban contemporain, des débuts de la guerre civile en 1975 à l’attaque contre la force d’interposition française du Drakkar en 1983, avec entretemps, l’engrenage de la violence et les appétits des puissances de la région : Israël, la Syrie et l’Iran après l’arrivée au pouvoir de Khomeini. Et en arrière-plan, une description tout aussi dérangeante de la vie politique française, entre le président Mitterrand et ses compromissions avec Action Directe et Chirac qui entretient des liens troubles avec les réseaux Pasqua.
Cette tragédie libanaise est vue à travers plusieurs personnages car l’auteur écrit bien un roman : les trois frères chrétiens de la famille Nada, l’un en chef de guerre, l’autre en tête brûlée et le troisième parti pour la France pour essayer d’obtenir un soutien pour le Liban ; mais aussi le chef chiite ou le chargé de mission à l’ambassade de France.
Un travail remarquable sur les différentes communautés libanaises, une excellente interrogation sur les raisons qui les poussent à s’entretuer, alors qu’elles ont cohabité pendant des années. Un vertige devant la création au sein de ces communautés de factions qui se déchirent.
On retrouve avec bonheur les caractéristiques du roman noir historique où l'on va suivre des personnages fictifs immergés avec d'autres bien réels dans les évènements historiques qui ont secoué le Liban et la France de 1975 à 1983 (pour ce premier tome).
-
Un changement de genre redoutablement efficace
Récit de la guerre qui se déroule en Finlande de décembre 1939 à mars 1940 : l’URSS attaque le pays, dans un rapport de force totalement disproportionné qui devrait conduire à une guerre éclair. Mais contre toute attente la Finlande résiste, portée par son patriotisme, incarné dans le livre par plusieurs personnages, notamment Simo Häyhä, un sniper à l’efficacité redoutable surnommé « la Mort Blanche ». Le pays est également soutenu par une nature dans laquelle les forêts, le froid (jusqu’à moins 50°), la neige et la glace offrent une relative protection aux soldats finlandais face à des soviétiques mal équipés et perçus par Staline comme de la simple chair à canon renouvelable.
Un grand intérêt à l’évocation de cette phase de la seconde guerre mondiale, très mal connue ; des personnages dont l’auteur nous fait bien percevoir les sentiments : ce ne sont pas des militaires, mais des hommes et des femmes qui défendent leur pays, même s’ils se sentent parfois menacés de perdre leur humanité.
Une résonance toute particulière compte tenu des parallèles avec l’actualité, jusqu’à la lâcheté des démocraties bien rappelée.
-
L’espoir symbolisé un arbre maginfique!
Milan vit en France, il ne découvre le Rwanda qu’en 1998 à l’âge de 16 ans, alors qu’il a une mère rwandaise et qu’il a brièvement connu en 1994 Claude, un jeune garçon rescapé membre de sa famille, que ses parents ont hébergé temporairement. Mais ce pays l’absorbe peu à peu, au fur et à mesure qu’il découvre la tragédie, toujours cependant à partir du récit de vies en dehors de sa famille. Grâce à des rencontres marquées par le génocide de 1994 mais aussi par les massacres qui l’ont précédé, il se pénètre progressivement de la douloureuse histoire de ce pays.
Des pages bouleversantes sur les commémorations du 7 avril, entre un pays qui s’arrête, « les oiseaux ne chantent pas » et des témoignages qui rappellent l’indicible, ce qui n’empêche pas l’auteur de voir que certains jeunes voudraient tourner la page et ne plus avoir ce fardeau sur les épaules. Des réflexions sur les procès gataca et la nécessaire et pourtant presque impossible cohabitation entre les victimes dont la voix forte est portée par des personnages de chair, que l’on suit dans tout le roman. A côté de ceux que le génocide a laissé muets, G Faye souligne à quel point la reconstruction des hommes et du pays doit s’appuyer sur l’histoire des disparus, la réappropriation des lieux où ils ont vécu. L’espoir est alors là, symbolisé par le titre, celui de cet arbre maginfique.
Ce roman poignant est un excellent complément au récit de Beata Umubyeyi Mairesse, "Le convoi" paru en janvier 2024, où elle raconte sa fuite du Rwanda avec sa mère et le besoin de témoigner pour tous ceux qui ont été victimes du génocide de 1994, qu'ils aient survécu ou qu'ils soient morts
-
Un livre si riche en peu de mots
Dans un Japon insulaire baigné par l’omniprésence de la mer, des vagues et des brouillards marins, deux personnages, Masao et Harumi, le père et la fille se retrouvent, on pourrait presque dire se trouvent car ils se sont très peu connus. Masao n’a en effet jamais pu prendre soin de sa fille, dévasté par le suicide de son épouse, Katsue, qui a choisi de « marcher sur la mer », le jour même où elle a mis au monde sa fille. C’est Harumi qui vient à la rencontre de son père, pour des raisons laissées à l’appréciation intime de chacun : nouer un lien avec lui, évoquer l’image de sa mère ?
Une très belle écriture feutrée qui fait penser à un tableau, à la fois impressionniste et précis dans les détails. Le rapport à l’art est en effet très présent dans le récit, que ce soit la tentative de Katsue pour vivre à travers ses réalisations ou la magnifique description des deux musées conçus autour d’une seule œuvre. Dans le premier, le spectateur entre au sens propre dans le tableau comme s’il entrait dans la vie ; le second se décline autour de gouttelettes d’eau qui se dispersent, comme un symbole des chemins qui peut prendre le destin. Enfin, une unité se dégage autour de la barque. Masao l’a construite de ses propres mains, dans un élan pour se rapprocher de Katsue sur le plan de la création mais aussi parce qu’elle lui permet d’être au plus près des vagues. Il accepte de la vendre pour financer les études de Harumi et assumer sa paternité. Grâce à elle, il assiste à l’épanouissement de sa fille dans son travail.
-
Remarquable!
Le roman aborde la tragique période de la guerre civile en Algérie dans les années 1990 avec le personnage d’Aube. Celle-ci a perdu ses parents et sa sœur dans le massacre de son village et elle-même a seulement survécu, rendue muette par la blessure que lui ont faite les islamistes : la tentative d’égorgement a abouti au sectionnement de ses cordes vocales. Adulte, elle est aussi muette car elle se sent coupable d’avoir simulé la mort pendant que sa sœur se faisait assassiner, et muette enfin car les femmes de ce pays, invisibles et soumises, ne peuvent survivre qu’à travers les hommes. Sinon, on les appelle les "errantes" quand elle ne sont pas sous le contrôle d’un homme. On peut les traiter comme du bétail : le récit se déroule pendant la fête de l’Aïd avec ses milliers de moutons égorgés qui répondent aux centaines de milliers de morts de la guerre civile. Et Aube enceinte se demande comment il est possible de mettre au monde une fille dans cette société qui nie les femmes.
Une nausée salutaire à la lecture de ce roman : « on égorgeait comme on respire ». Un parallèle intéressant entre la guerre d’indépendance contre la France, dont il faut parler et la guerre civile et ses atrocités, qu’il convient d’oublier au nom d’une « réconciliation » totalement hypocrite puisqu’elle permet aux islamistes d’échapper à toute sanction et qu’elle exclut les femmes dites terroristes.
Une écriture magnifique avec un rythme porté par la violence. A méditer pour ceux qui, en France, clament que les femmes « choisissent » de porter le voile.
-
Le portrait de 4 femmes pour une vision de l'histoire de la Géorgie
Quatre beaux et douloureux portraits féminins qu’on suit de leur enfance à l’âge adulte dans la Géorgie contemporaine : Dina, l’intransigeante passionnée autour de laquelle tout s’articule, Keto, l’archiviste qui raconte, à la fois avec objectivité et avec ses tripes, Nene, qui refuse de montrer sa profondeur en insistant sur une légèreté sensuelle et Ira qui masque son homosexualité par un sérieux universitaire. Toutes les quatre se fracassent sur les sombres réalités d’un pays en proie au chaos politique avec la fin de l’URSS mais aussi celles d’une société patriarcale dans laquelle les femmes sont traitées comme des objets, des monnaies d’échange et où la violence est omniprésente. Un récit qui oscille entre amour et mort de façon très réussie, entre amitié et trahison, ce qui ne laisse finalement aux trois survivantes que la fuite pour continuer à vivre.
Une très belle construction car, au lieu de recourir à l’alternance souvent artificielle entre chapitres sur l’époque actuelle et ceux sur les années 1990, l’auteure utilise une expo photo réalisée en l’honneur de Dina pour permettre à Keto de faire remonter ses souvenirs. Une somme (700 pages) qui amène à saluer la résilience de ces femmes et qui donne envie d’en connaître davantage sur l’histoire tourmentée de la Géorgie.
-
Un remarquable roman d’apprentissage
Dans des montagnes proches de la Slovénie, la rencontre entre un vieil homme solitaire qui campe et une jeune Gitane en fuite car en rupture avec sa famille. Tous deux sont marqués par des blessures qui vont se révéler peu à peu et dans une certaine mesure seulement. L’auteur installe un dialogue ininterrompu entre les deux personnages quand ils sont ensemble, puis par un échange de lettres, un cahier de la part de l’un et une lettre de la part de l’autre, qui amènent une explication.
Mais une explication est-elle nécessaire ? Ce qui compte avant tout, c’est la qualité de l’écriture, la profondeur de phrases courtes, l’importance du jeu de mikado dont l’homme rappelle les règles mais que la jeune fille connaît aussi, puisque chez les Gitans, il permet d’interroger le destin en lisant la réponse dans le tas.
Un remarquable roman d’apprentissage, qui sait poser des questions essentielles sur la jeunesse, la vieillesse, le temps qui passe (le vieil homme est horloger entre autre), le rapport aux animaux. Un rythme lent et patient que l’auteur maîtrise parfaitement.
-
Un fabuleux voyage au cœur de l’art
Mona est une petite fille qui risque de perdre la vue. Son grand-père décide de l’emmener voir les œuvres de trois grands musées parisiens : le Louvre, Orsay et Beaubourg pour que, dans la nuit qui la guette, elle puisse regarder ces couleurs, ces formes et éclairer son obscurité. En 52 semaines, 52 tableaux, sculptures, objets sont ainsi l’occasion d’être présentés de façon remarquable, d’abord par le grand-père seul puis, de plus en plus, par Mona qui se les approprie en même temps qu’elle devient ado.
A travers Mona, le pouvoir de l’art est bien affirmé, avec les sentiments qu’il suscite : admiration devant la beauté, mais aussi mélancolie, voire révolte. Un fabuleux voyage au cœur de l’art, une multitude de questions intéressantes : pourquoi ce choix des œuvres (52 c’est finalement peu) ? Cette lecture personnelle a t-elle une part d’universel ? Une magistrale leçon d’histoire de l’art.
-
Pas un livre de plus sur la Première Guerre Mondiale
Dans les années 20, un ancien combattant de la première guerre mondiale tente de retrouver des soldats disparus, à la demande des familles. Il finit par s’intéresser uniquement à l’un d’eux, ce qui l’amène au cœur d’un amour passionné entre ce soldat et une jeune Alsacienne, rejetée par la mère du soldat car elle n’est qu’une bonne. Une passion folle et poétique à travers la désolation des champs de bataille, des souvenirs qui peuvent à peine être racontés par les survivants.
Le récit de ces impossibles retrouvailles est bien mené, comme une enquête à la quelle on croit et dans laquelle on veut espérer. Il fait écho de façon subtile à l’impossible reconstruction du pays dans les années 20 et à l’impossible réconciliation franco-allemande puisqu’il s’achève au début de la seconde guerre mondiale.